De l’utilité d’un budget…

Dans la plupart des sociétés où j’ai exercé la fonction de directeur administratif et financier, une de mes premières requêtes à mon arrivée a toujours consisté à consulter le budget de l’année en cours. Dans l’immense majorité des cas m’était fourni un fichier excel avec 3-4 onglets sur lesquels j’ai rapidement constaté que le processus budgétaire s’était contenté de prendre les chiffres de l’année précédente, d’ajouter 1% ou 2% d’augmentation sur les postes principaux, et de sortir ainsi des objectifs financiers à atteindre pour l’année.

Point barre.

A ce stade-là de ma prise de connaissance émergeaient deux constats diamétralement opposés :

  • Un grand moment de solitude, où mes pensées oscillaient entre abattement et consternation, face à l’insuffisance et l’opacité des informations financières mises à ma disposition ;
  • Un constat résolument optimiste malgré tout : j’avais déjà identifié une très grande amélioration à apporter en termes d’outils de gestion à mettre en œuvre.

Pour illustrer ce propos, j’aimerais vous faire part d’une expérience vécue il y a quelques années…

« Moi je pilote mon business au volume des ventes
 et au cash disponible sur mon compte bancaire. »

 En juin 20XX, j’ai été recruté par deux fonds d’investissement privés pour prendre la direction administrative et financière d’une société qu’ils venaient d’acquérir. Comme le stipulent souvent les contrats en de telles circonstances, une passation de pouvoir entre ancien management et nouvelle équipe est prévue. J’ai donc collaboré avec l’actionnaire-dirigeant (vendeur) pendant quelques mois, à l’issue desquels il a exercé son droit de sortie.

A ma prise de fonction, j’ai constaté qu’aucun budget n’avait été fait. Je suis allé voir l’animateur de la société et m’en suis inquiété. Celui-ci m’a répondu : « François, vous pouvez faire tous les tableaux que vous voulez, je ne les regarderai jamais. Moi je pilote mon business au volume des ventes et au cash disponible sur mon compte bancaire. Quand les comptes bancaires sont trop bas, je fais une campagne de promotion qui booste les ventes, je récupère du cash, et le tour est joué. »

Autrement dit, les deux seuls indicateurs de performance de sa société était le volume des ventes, qu’il obtenait en 3 clics de souris sur son logiciel métier, et le niveau de cash sur ces comptes bancaires, que la comptable lui communiquait une fois par semaine.

« …Gestion en bon père de famille… »

Précisons qu’il s’agissait d’une société qui exploitait plus d’une vingtaine de points de vente, pour CHF 35 millions de chiffre d’affaires et plus de 150 emplois à temps plein. La comptabilité était une véritable boite noire, le logiciel totalement archaïque ; il était en effet impossible de générer une information financière et analytique fiable avec les outils à disposition.

Dans une telle situation, j’appelle ce type de pilotage la « gestion en bon père de famille ». Car, comme tout bon père de famille, il veillait à ce que son compte bancaire ne bascule jamais dans le rouge. Et c’était sensiblement son seul indicateur de gestion… Faute de mieux.

« Qu’il soit salarié ou indépendant, un bon professionnel de la finance d’entreprise est à même de rapidement établir un budget. »

S’agissant d’une prise de participation sous LBO, la société était tenue de respecter de nombreuses obligations contractuelles vis-à-vis des banques qui avaient financé en partie l’acquisition. Parmi ces obligations contractuelles, il fallait notamment fournir, une fois par année, un budget prévisionnel d’exploitation assorti d’une planification des investissements. L’automne arrivant, je me suis donc attelé à la tâche, et j’ai monté un budget… Lorsque je l’ai présenté au Conseil d’Administration, les représentants des fonds d’investissements ont été impressionnés par la qualité, la précision et l’exhaustivité du fichier Excel que j’avais construit et m’ont demandé d’aller le défendre auprès des partenaires bancaires et des mezzaneurs qui avaient financé le LBO.

Qu’il soit salarié ou indépendant, un bon professionnel de la finance d’entreprise est à même de rapidement établir un budget. A l’origine du processus budgétaire, il n’est pas nécessaire de connaître précisément l’activité de la société et son environnement, parce que ce faisant, il en apprend beaucoup sur la société, appréhende son business model, recense l’ensemble de ses obligations financières et construit un budget précis basé entre autres, sur les comptes historiques de la société, sur les obligations légales qui découlent des divers contrats qu’elle a signés avec ses partenaires (baux, contrats de maintenance, contrats de services, contrats de travail de ses collaborateurs, assurances…) et qui vont permettre d’estimer les frais fixes à couvrir. En somme, un budget sérieux recense l’intégralité des charges et des produits de la société.

« Un budget réaliste bien construit a de multiples intérêts. »

Bien évidemment, le budget doit être construit en étroite relation avec la direction générale, qui validera les hypothèses retenues, notamment pour le chiffre d’affaires. La première qualité d’un budget est qu’il soit réaliste et que ses objectifs soient atteignables, car il a comme objectif principal de définir une feuille de route pour l’année à venir. Idéalement, les responsables opérationnels en charge de l’appliquer doivent l’avoir accepté avec une assurance raisonnable de pouvoir l’atteindre et le tenir. J’ai toujours, systématiquement, défendu et présenté des budgets sur lesquels je pouvais m’engager.

Un budget bien ficelé a de multiples intérêts :

  • Pour l’appréhension des engagements de la société, il donne une vision très claire et transparente des contrats en cours, et permet, dès sa construction, de recenser d’éventuelles dépenses à double, inutiles ou superflues ; il est donc l’occasion de renégocier vos contrats de prestations, ou les résilier avant leur date anniversaire.
  • Pour le pilotage de la performance de votre société, il est construit de telle sorte qu’il colle à votre reporting et permette une analyse précise des écarts constatés entre la performance réelle de votre société et ses objectifs budgétaires initiaux ; ce faisant, il est l’outil indispensable pour la prise de décision, permettant d’estimer avec fiabilité les conséquences des mesures correctives que vous implémenterez en cours d’année ;
  • Que votre société soit mature ou en pleine croissance, l’exercice budgétaire est l’occasion d’une réflexion sur vos éventuels besoins futurs en ressources humaines ou investissements, afin de les anticiper au mieux, notamment pour leur financement ;
  • Pour vos équipes managériales, il fixe des objectifs à atteindre, que ce soit en termes de ventes / chiffre d’affaires, mais aussi en termes de maîtrise des coûts variables ;
  • Pour vos partenaires financiers, banquiers, associés, actionnaires, il appréhende le futur avec un certain niveau d’assurance, et rassure donc sur les perspectives financières de l’entreprise pour l’année à venir ; il constitue par conséquent l’outil de référence essentiel pour négocier des facilités de financement ou de trésorerie auprès de vos partenaires bancaires ;

En un mot comme en cent, le budget est l’outil de référence indispensable au pilotage de la performance de votre entreprise. Dans la totalité des sociétés où j’ai établi un budget, les dirigeants ont été profondément rassurés par l’existence de ce document, qui est rapidement devenu leur bible, s’y référant très régulièrement. Cette sérénité leur a permis de consacrer toute leur énergie au développement de leur cœur de métier.