Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur… les amortissements… sans jamais oser le demander

J’ai reçu beaucoup de retours positifs sur l’article que j’ai publié en décembre dernier, dont l’objectif était d’aborder la définition d’un actif et je vous en remercie vivement !

Au programme du jour, j’ai choisi d’aborder la notion d’amortissements. En effet, vous avez été nombreux à me demander de traduire en langage courant en quoi consistait le concept d’amortissements en comptabilité, car il est très souvent perçu comme abstrait. J’espère qu’à l’issue de la lecture de cet article, vous aurez compris ce qu’est un amortissement, et quelle est son utilité.

Un peu d’histoire…

Le terme « Amortissement » est issu du verbe latin « admortire », qui signifie « rendre comme mort ». Au moyen-âge, amortir équivaut, en langage populaire, à « mourir » ou « tuer ». Au-delà de cette acception première, le terme revêt rapidement une connotation juridique, fiscale et économique. Dans son usage fiscal, l’amortissement est une redevance payée au roi, équivalente à nos droits de mutation actuels en cas d’héritage. Dans sa vision économique initiale, reprise par la finance actuelle, il s’agit de la succession de paiements visant à éteindre une dette. Il existe aussi des définitions propres à la mécanique ou à l’architecture, plus modernes, mais attardons-nous sur la définition comptable du terme.

Pourquoi le concept d’amortissement est-il si abstrait ?

Quand on se retrouve sur les bancs de l’école et que l’on aborde les notions de comptabilité, on a souvent une vision orientée « trésorerie » des flux financiers qui alimentent la comptabilité, car elle permet facilement de matérialiser ces flux. En effet, l’immense majorité des mouvements que nous enregistrons en comptabilité a pour conséquence, in fine, une entrée de trésorerie (ressource), ou une sortie de trésorerie (dépense).

L’abstraction de l’amortissement réside dans le fait qu’il s’agit d’une charge dite « non monétaire » : elle n’a aucune conséquence sur la trésorerie. En cela, elle oblige les comptables en herbe à changer de paradigme… Et c’est parfois compliqué !

Essayons d’y voir plus clair…

Au sens comptable, l’amortissement est étroitement lié à la notion d’actif, à son utilisation, et à son évaluation. Dans mon article précédent sur les actifs, j’avais indiqué que tout ce qu’une société achète ne peut pas être considéré comme un actif, notamment du fait de la durée de vie du bien acheté. Lorsque l’utilisation immédiate que vous faites d’un bien a pour conséquence sa fin de vie, ce bien ne peut pas être considéré comme un actif. C’est donc une charge. Mais alors, une question se pose : comment mesurer, comptablement, l’utilisation que l’on fait d’un actif ?

Il existe en fait trois conceptions de la notion d’amortissement :

  • La première, d’inspiration fiscale, privilégie la vision patrimoniale du bilan et donc, l’évaluation d’un actif. Il s’agit alors de mesurer le constat de dépréciation, la correction de valeur, afin d’estimer au mieux la valeur des actifs qui composent la fortune de l’entreprise ;
  • La deuxième, d’inspiration économique, envisage l’amortissement comme l’allocation du coût d’acquisition d’un actif sur un certain nombre d’exercices comptables. Nous verrons plus loin qu’il s’agit d’une approche visant à estimer au mieux les coûts de production de l’entreprise ;
  • La troisième, enfin, est plutôt issue d’une vision financière, voyant dans ce mécanisme comptable le moyen de reconstituer le capital initialement investi, en vue de renouveler les actifs inscrits au bilan. Il s’agit alors plutôt d’un « bas de laine » que l’on alimente périodiquement.

Quelle que soit la conception retenue, la logique comptable consiste à réduire la valeur d’un actif en constatant une charge, qui vient diminuer le résultat de l’exercice en cours.

Vision patrimoniale de l’amortissement

La charge d’amortissement peut consister à constater le dépérissement et la dépréciation irréversible d’une immobilisation. On privilégie alors la vision patrimoniale du bilan. L’idée sous-jacente à cette logique est de mesurer la perte de valeur d’un actif entre deux exercices, car en effet, son usage en diminue de manière irréversible la valeur de revente potentielle.

Le hic, c’est que cette mesure de la perte de valeur peut être très subjective d’une société à l’autre, voire d’un exercice à l’autre au sein d’une même société. En effet, l’amortissement étant une charge, elle diminue directement le résultat imposable de la société. Qui plus est, sa nature non-monétaire en fait un outil idéal en tant que variable d’ajustement du résultat fiscal de la société : elle permet de diminuer le résultat sans générer de sortie de trésorerie, contrairement à la plupart des autres charges.

Pour ces raisons, l’administration fiscale a rapidement encadré la pratique et défini des durées d’amortissement maximales, selon la nature et la durée de vie théorique du bien. La plupart du temps, l’amortissement est linéaire, consistant à constater une perte de valeur identique sur chaque exercice, indépendamment de l’usage réel que l’on en fait.

Vision managériale de l’amortissement

Au sens économique du terme, la charge d’amortissement a comme objectif de répartir le coût d’acquisition de l’immobilisation sur sa durée d’utilisation. Cette perception a une fin réellement économique, notamment en termes de contrôle de gestion, et nous allons voir pourquoi.

Prenons l’exemple d’une machine-outil d’une valeur de CHF 50’000 destinée à la production de capsules de café. Cette machine a une capacité de production, disons, de 5 millions de capsules. A l’issue de ces 5 millions de capsules, il faudra la remplacer. Sa durée de vie est donc connue à l’avance et sa perte de valeur dépend intégralement de l’usage que la société en fera.

A l’issue de sa première année d’utilisation, elle a permis la production de 3 millions de capsules, soit 60% de sa capacité totale de production. Sa valeur résiduelle ne représente alors plus que 40% de son coût d’acquisition. Au cours de la deuxième année d’utilisation, elle a permis de produire 1,5 million de capsules. A l’issue de cette deuxième année d’utilisation, sa valeur résiduelle ne représente plus que 10% de sa valeur d’acquisition.

Dans la même logique, il serait tout à fait possible d’allouer la perte de valeur de la machine-outil non seulement selon la quantité de capsules produites, mais aussi selon la couleur des capsules produites, ou selon la qualité du café qu’elles contiennent. La granularité et les dimensions analytiques sont aussi nombreuses que les besoins de gestion au sein de l’entreprise concernée.

Si la vision patrimoniale d’un amortissement prévoit donc une dépréciation linéaire et constante de la valeur d’un actif, en termes économiques, cette dépréciation n’est donc pas nécessairement identique année après année, et c’est là tout son intérêt puisqu’elle tend à définir de manière précise la structure et la réalité des coûts de production. On voit bien que la définition fiscale tend à mesurer la valeur patrimoniale résiduelle de l’actif tandis que la perception comptable tend à mesurer les coûts d’exploitation engagés par l’usage que l’on fait de l’actif.

L’amortissement en tant que reconstitution de la capacité d’investissement

Cette troisième interprétation, visant à reconstituer le capital initialement investi par les actionnaires, est beaucoup plus abstraite. Dans les faits, l’idée est pourtant assez pertinente : il s’agit de reconstituer le capital consacré à l’acquisition d’une immobilisation, soit en vue de pourvoir à son remplacement, soit en vue de rembourser les actionnaires de leur mise de fonds initiale le jour où la société sera dissoute et que cette immobilisation aura perdu toute sa valeur.

En cela, l’analogie avec la définition communément admise de l’amortissement comme étant le remboursement d’un emprunt est limpide. D’un côté, il s’agit de rembourser les actionnaires, de l’autre, de rembourser les prêteurs de fonds.

Cependant, contrairement aux deux premières définitions, couramment pratiquées dans le monde de l’entreprise, cette définition financière de l’amortissement est nettement moins répandue et pour cause : s’il s’agit, tout comme dans les deux premiers cas, de constater une perte de valeur au fur et à mesure du temps, cette interprétation implique en plus la création d’une réserve de trésorerie à hauteur de la perte de valeur, et qui portera intérêt.

De ma perception, cette vision tend donc à immobiliser des liquidités inutilement, surtout lorsqu’on se place dans une hypothèse de continuité d’exploitation. Au cours de ma carrière, je n’ai jamais constaté une telle pratique.

Test d’impairment

La norme comptable IAS36 apporte une interprétation supplémentaire à la notion d’amortissement. Jusqu’à présent, les trois définitions retenues avaient toutes comme objectif de constater la diminution de valeur d’un actif du seul fait de son utilisation dans le cadre de l’activité de l’entreprise. Pour autant, il est aussi possible qu’un actif perde de sa valeur du fait d’un évènement extérieur sans lien avec l’activité de l’entreprise.

Parmi ces évènements, retenons par exemple un incendie, la nationalisation d’une usine par le gouvernement local ou encore un saut technologique qui rend totalement obsolète une partie des outils de production. Ces trois évènements ont comme conséquence une perte de valeur immédiate des actifs de la société, qu’il est nécessaire de reconnaître dans les comptes par le biais d’un amortissement extraordinaire faisant suite à un test de dépréciation.

En conclusion

Si l’administration fiscale encadre la pratique de l’amortissement comptable, le code des obligations suisse n’interdit pas in fine de sous-évaluer un actif. Autrement dit, il arrive que la valeur comptable d’un actif au bilan soit inférieure à sa valeur de marché. On parle alors de réserve latente, qui contrairement à une réserve ouverte, n’apparait pas au bilan… Mais c’est une autre histoire qui pourrait faire l’objet d’un article à part entière !