Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur… les actifs… sans jamais oser le demander

J’inaugure aujourd’hui une nouvelle série d’articles qui s’annoncent, je l’espère, riches d’enseignements. En effet, mon objectif premier, ici, est de permettre aux non-initiés de comprendre les principales notions comptables en utilisant des termes simples et des exemples concrets issus de la vie quotidienne. Nul doute que les experts de l’IASB (pour International Accounting Standards Board) relèveraient quelques approximations à la lecture de cet article, j’en conviens et m’en excuse d’avance auprès d’eux.

Au programme du jour, je vais aborder la notion d’actifs.

Dans la presse économique, on lit régulièrement des articles parlant de « gestion d’actifs », de « vente d’actifs non stratégiques », « d’actifs toxiques » pour certaines banques… Mais qu’est-ce qu’un actif, dans son acception comptable ?

Actif : une définition a priori abstraite…

Un actif est « une ressource qui provient d’évènements passés, qui est contrôlée par l’entreprise et qui doit procurer à celle-ci des avantages économiques futurs »[1]. Voilà pour la définition barbare, qui dit tout aux initiés, et pas grand-chose à ceux qui ne sont pas familiers avec cette terminologie.

Je vais donc décortiquer cette définition :

  1. Une ressource, c’est, pour rester simple, quelque chose dont on dispose librement. C’est l’argent dans votre portefeuille, sur votre compte courant à la banque, mais c’est aussi votre véhicule, votre appartement si vous en êtes propriétaire, les meubles et la décoration d’intérieur, votre ordinateur, votre téléphone portable… Tout ce que vous achetez, que vous souhaitez conserver un certain temps, et que vous pourriez potentiellement revendre. En un mot : votre fortune.
  2. Qui provient d’évènements passés… Là, à mes yeux, c’est une précision un tantinet stérile, car je ne vois pas trop comment on pourrait disposer aujourd’hui de quelque chose qui provient d’un évènement futur… Pour illustrer tout de même cette notion, vous êtes propriétaire de ce véhicule car vous l’avez acheté. L’acte d’achat est donc ce fameux évènement passé… Logique, non ?
  3. Qui est contrôlée par l’entreprise… Pour le coup, la précision est d’une grande importance… Pourquoi ? Parce que la notion de contrôle est primordiale pour la valorisation de l’objet. Si vous ne contrôlez pas cet objet, vous n’en avez pas l’usage, et donc cela pose un sérieux problème… Reprenons l’exemple de votre voiture… Vous vous êtes fait plaisir en vous achetant la dernière Ferrari… Malheureusement, cette voiture a coûté beaucoup trop cher par rapport à votre capacité financière réelle, et vous avez dû faire des choix sur votre train de vie, en accumulant quelques dettes… Il y a quelques jours, un huissier est passé à votre domicile pour procéder à la saisie de votre véhicule… Alors certes, vous en êtes toujours propriétaire, mais on peut dire que vous n’en avez plus l’usufruit : son contrôle est pour le moment entre les mains de l’huissier, et le restera tant que vous n’aurez pas réglé vos dettes.
  4.  Et qui doit procurer des avantages économiques futurs. Dans les grandes lignes, un avantage économique futur est tout ce qui crée de la valeur de par son utilisation et/ou génère de l’argent. Et là, il est en fait plus facile de raisonner dans l’autre sens. En substance, ce qui ne crée pas de valeur de par son utilisation ou ne génère pas d’argent de par sa vente ne peut pas être considéré comme un actif. Reprenons votre voiture toute neuve, elle a une côte à l’argus et vous pourriez très facilement la revendre. Dans ce cas, elle vous permettrait de générer de l’argent, et répondrait donc à ce quatrième critère. Imaginons, malheureusement, que votre voiture a brûlé… Ok, vous allez certainement toucher un remboursement de l’assurance, mais votre voiture brûlée est inutilisable et n’a plus aucune valeur de marché : elle ne vaut plus rien, et de ce fait, ne fait plus partie de votre fortune, et donc de vos actifs…

Définition positive vs définition négative

Ces quatre critères sont exclusifs et cumulatifs. Si l’un d’eux vient à manquer, on ne peut pas parler d’actif au sens comptable du terme. J’ai souvenir de mes cours de droit à HEC-Lausanne, et de la notion de définition négative. Parfois, l’application de la définition négative éclaircit grandement le champ des possibles.

Une ressource qui répondrait aux trois premiers critères de la définition, mais qui ne génèrerait plus d’avantages économiques futurs, n’a plus de valeur au sens comptable du terme.

Cela a par exemple été le cas des machines-outils destinées à développer des photos argentiques, devenues totalement obsolètes par l’arrivée des photos numériques. Leader de la photo argentique, Kodak était avant tout un chimiste, améliorant la sensibilité de ses pellicules à la lumière et disposant de milliers de brevets dans ce domaine. Les dirigeants de la société n’ont pas anticipé le tournant du numérique au début des années 2000… Malgré plusieurs tentatives de réorientation stratégique, la société a finalement été placée en janvier 2012 sous chapitre 11 de la loi sur les faillites américaine et a subi de profondes restructurations. Le titre de la société EastMan Kodak, cotée à la bourse de New York depuis fin 2013, est passé de USD 37.70 en janvier 2014 à USD 2,52 aujourd’hui.

 Tout ce qu’on achète est-il considéré comme un actif ?

Le cadre conceptuel des normes IFRS est précis et certains termes, a priori anodins, ont pourtant une grande importance. Revenons sur la notion d’avantages économiques futurs. Le terme « futur » est relativement flou, mais, à mes yeux, il faut le distinguer d’un avantage économique immédiat. De mon interprétation, un bien matériel dont vous feriez usage immédiatement et qui aurait une durée de vie limitée ne peut pas être considéré comme un actif. C’est sur cette notion de durée de vie que je fais clairement la distinction entre un actif et une charge.

De ma compréhension toujours, seul un bien qui aurait une durée de vie supérieure à un an peut être considéré comme un actif. Votre Ferrari est clairement un actif, mais les dépenses liées à son fonctionnement (plein d’essence, assurance, vignette autoroute, entretien…) ne rentrent pas dans la définition d’un actif car ces dépenses ont une durée de vie plus courte que le véhicule et souvent inférieure à un an. Je fais la même distinction entre une imprimante, que vous espérez conserver quelques années, et la cartouche d’encre que vous devez renouveler régulièrement.

Par conséquent, une ressource, qui provient d’évènements passés, qui est contrôlée par l’entreprise, mais dont vous tirez un avantage économique immédiat, synonyme de fin de vie à relatif court terme, est donc une charge et non un actif.

Matérialité d’un actif

Dans la plupart des cas, un actif dispose d’une substance matérielle, on peut le « toucher » ; Il en est ainsi de la totalité des biens qui nous entourent, votre voiture, vos meubles, votre téléphone… Mais il existe aussi des actifs immatériels, qui n’ont pas de substance. Revenons à notre exemple précédent : la société Kodak disposait de nombreux brevets qui protégeaient la propriété intellectuelle de ses inventions. Ces brevets répondent à la définition d’un actif : il s’agit bien d’une ressource, provenant d’un évènement passé (une activité de recherche et développement), qui est contrôlée par l’entreprise (sa propriété intellectuelle interdisant toute copie par la concurrence), et qui garantissait à Kodak un certain monopole technologique dans ce domaine, donc générateur d’avantages économiques futurs. La plupart des actifs immatériels d’une entreprise relèvent du domaine de la propriété intellectuelle : brevets, copyrights, procédés de fabrication protégés.

 En conclusion

Vous connaissez mon vif intérêt pour l’origine des mots… Le terme « actif », dans son acception comptable, est attesté dès 1576 dans les six livres de la République, de Jean Bodin. Ces livres constituent un ouvrage de théorie politique, leur auteur étant historien, juriste et philosophe.

Dans le chapitre 1 du tome VI, il est fait mention de : « Le Senat craignoit les registres et enseignemens publiques, qui decouvroient les biens d’un chacun et les debtes actives et passives. »

De nos jours, en terminologie comptable, il y aurait une grande incohérence à parler de dettes actives, puisqu’une dette est inscrite au passif du bilan. Mais, en toute logique, une dette active n’est rien d’autre qu’une dette pour laquelle on est créancier. La dénomination actuelle est une créance de la société, inscrite à l’actif de son bilan, à l’encontre de son… débiteur. Et un débiteur (debtor en anglais) n’est autre que celui qui a une dette à l’encontre de la société… CQFD !

[1] Source : cadre conceptuel des normes IFRS (pour International Financial Reporting Standards)